mercredi 18 décembre 2013

Making of par Yann

Le groom gris de verres :

Après Le Groom vert-de-gris, le tandem Schwartz-Yann revient pour une nouvelle aventure de Spirou, sous le ciel tourmenté du Bruxelles d’après guerre, mais aussi de l’Afrique coloniale. Un programme réjouissant ? Oui ! Sauf pour Spirou, qui tutoie d’un peu trop près la bouteille, et qui en plus en prend pour deux tomes… Explications avec Yann.

Quelle était l’ambiance du Bruxelles d’après guerre ?
C’était rutabagas et règlements de comptes ! Bruxelles avait abrité des résistants, mais aussi pas mal de collaborateurs et de rexistes. À la Libération, il y eut donc une ambiance détestable, où tout le monde surveillait tout le monde, cherchant à savoir dans quel camp avait été son voisin. En Belgique comme en France, la Libération s’accompagna de « procès » publics. On tondit les femmes ayant eu des relations amoureuses avec des Allemands. On appelait ça la collaboration « horizontale »… À Bruxelles, on enferma même des collabos dans les cages aux fauves du zoo !

En plus d’être bruxellois, La femme Léopard est très africain.
Spirou va rencontrer une mystérieuse femme-léopard, ainsi qu’un colonel à la retraite, autrefois en poste au Congo belge, et logeant aujourd’hui au Moustic Hôtel. Lorsque ces deux personnages vont s’affronter, notre groom devra choisir son camp ! Le contexte historique de la colonisation belge m’intéressait, bien sûr. Mais ce dont j’avais envie c’était surtout de revenir aux fondamentaux de Spirou, à savoir la grande aventure. La scène d’ouverture de l’album, où notre femme-léopard est poursuivie sur les toits de Bruxelles par des gorilles-robots, est d’ailleurs là pour donner le ton !

Pourquoi ce petit virage vers une ambiance teintée de fantastique ?
J’essaie de faire en sorte que mes Spirou fassent naître les sentiments que j’ai moi-même éprouvés quand j’étais enfant. J’utilise donc, à divers degrés, des personnages m’ayant intéressé dans les premiers albums de la série. C’est ainsi que Poildur s’était imposé dans « Le Groom vert-de-gris », afin de rendre hommage à l’un de mes épisodes fétiches : Spirou sur le ring. Mes gorilles-robots, eux, sont une manière d’évoquer Radar le robot, une histoire trop courte pour être extraordinaire, mais d’où émanait un merveilleux sens de l’esthétique et du fantastique. Rendre des hommages à Spirou dans mes Spirou, c’est une façon pour moi de dire qu’il n’est pas ma chose, que je ne fais que marcher dans les empreintes géantes de mes maîtres.

Au départ, vous ne deviez faire qu’un Spirou. C’était même le principe de la collection.
C’est la faute d’Émile Bravo, qui a annoncé dès le début du Journal d’un ingénu qu’il lui donnerait une suite ! J’ai appelé aussitôt mon éditeur pour lui dire : « Moi aussi ! » Il m’a répondu que Bravo, lui, était une vedette… Là encore j’ai répondu : « Moi aussi ! », et La femme Léopard a été accepté. Plus sérieusement, j’ai toujours envisagé une suite au « Groom vert-de-gris », car cette histoire, prévue au départ pour Yves Chaland, n’était qu’un préambule ouvrant sur de nombreuses péripéties. Préambule que j’ai toutefois beaucoup réécrit pour Schwartz, puisque j’y racontais la rencontre entre Spirou et Fantasio, épisode dessiné depuis par Bravo.

Au cinéma, la mode est au reboot. Peut-on considérer que votre Spirou en est un ?
Pourquoi pas ? Je pense qu’il y a de l’avenir dans le vieux. À part Thorgal, qui a su intelligemment faire en sorte que le père remplace le fils, et donc que l’intrigue se renouvelle, la plupart des grandes séries finissent par connaître une usure. Il faut dans ce cas-là revenir vers le passé pour y prendre le meilleur, à savoir l’énergie et l’enthousiasme des débuts. Rajeunir un héros ne suffit pas. Encore faut-il faire évoluer sa psychologie, utiliser les codes narratifs de son époque. Quand j’ai montré à mes enfants les « Sherlock Holmes » avec Basil Rathbone – des chefs-d’oeuvre à mes yeux –, ils ont préféré les films avec Robert Downey Jr ! J’ai retenu la leçon

Loin du Spirou insouciant d’autres auteurs, le vôtre est prêt à sombrer dans l’alcoolisme.
L’idée vient de Schwartz. Je retrouve avec Olivier la merveilleuse ambiance de travail connue avec Chaland, où les pistes scénaristiques fusaient, au risque de se contredire mutuellement… Lorsque Olivier m’a parlé d’un Spirou terminant les fonds de verre du Moustic, j’ai trouvé l’idée très intéressante. Et même logique, au vu des terribles événements vécus par notre groom, en particulier la disparition d’Audrey… Franquin disait que Spirou est un gant vide, que chaque auteur enfile et anime comme une marionnette. Dans cette aventure, prévue en deux tomes, je puis vous assurer que la marionnette connaîtra une trajectoire sinueuse ! Une trajectoire qui la conduira loin. Jusqu’en Afrique.







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