lundi 9 avril 2007

Rencontre avec Schwartz

Entrevue avec Klarelijn

Olivier SCHWARTZ ? Ce nom ne vous dit rien ? Comment cela ? Vous vous dites amateur de ligne claire et vous ne connaissez pas le travail de ce brillant dessinateur français qui compte à son actif une bonne vingtaine d'albums de bande dessinée et qui travaille régulièrement pour MILAN ou BAYARD. Miséricorde ! Vous devez être de ceux qui boudent la bande dessinée jeunesse ! Et les enquêtes de l'inspecteur Bayard, son œuvre la plus connue sur scénario de Jean-Louis FONTENEAU, cela ne vous dit rien non plus ? Voyons ! La série se compose d'enquêtes mettant en scène Bayard, grand héros blond à la mèche ondulée, Lili, Sam, le Yorg et bien d'autres personnages. Le lecteur doit chercher des indices dans les pages pour découvrir l'identité du coupable où élucider une affaire. Le tome 12 de ces enquêtes a été Alph-Art jeunesse 7-8 ANS au festival d'angoulème 2003. Cela ne vous inspire pas davantage ? Hé bien, très cher lecteur, très chère lectrice, vous allez me faire le plaisir de lire au plus vite l'entretien ci-dessous que nous a fait le plaisir de nous accorder Olivier SCHWARTZ en admirant les belles images ou planches qui l'accompagne. Je suis certain qu'après cela, vous aurez envie d'en savoir plus sur cet auteur et ses créations. Non mais !

KLI : L'ensemble de vos travaux graphiques (bandes dessinées et illustrations) publiés à ce jour nous propose un style graphique résolument ligne claire. Est-ce que la ligne claire a toujours été votre style de prédilection ? Pour vous, travailler dans cet esprit a t-il toujours été une évidence ? Est-ce que vous pourriez me donner votre définition de la ligne claire ? Est-ce uniquement un trait ? Egalement un état d'esprit ? Une certaine culture de l'élégance et de la subversion ?...
O.S. : Je ne raisonne pas en ces termes, mais bon, oui, je fais de la ligne claire mais je n'ai pas toujours dessiné ainsi. Quand je dessine l'inspecteur Bayard, j'utilise la ligne claire et il n'est pas question de changer en cours de route. Chacun a sa définition de la clarté... Cette école a aujourd'hui de nombreuses branches. C'est d'abord un trait. Je suis très premier degré. J'ai parfois envie d'être élégant, mais ça m'ennuie vite! L'esthétisme mène vite a quelque chose de glacé. Je ne suis pas dans la subversion, SWARTE et MEULEN étaient subversifs, ils ont déterré la ligne claire. Ensuite des gens comme CHALAND, FLOC'H et CLERC ont utilisé ce style pour faire une bd adulte et crér le décalage. C'est une question d'époque. Aujourd'hui, ce n'est pas impossible de faire des histoires au premier degré à la HERGE, FRANQUIN ou PEYO. Est-ce un mal ou un bien ? Je n'en sais rien mais moi j'aime ça. J'ai rencontré un éditeur qui n'est pas contre et un petit public qui permet de continuer.

KLI : A travers votre style, tout comme chez SETH ou STANISLAS, on ressent la nostalgie d'un passé révolu. Est-ce que je me trompe ? Est-ce que vous êtes motivés avant tout par des critères d'ordre esthétiques (vétements, voitures, avion, commerces...) ou bien faut-il y percevoir une forme d'"idéologie" un peu réactionnaire ?
O.S. : Je ne sais pas. Peut-être suis-je nostalgique mais je ne roule pas en Renault comète ou en Jaguar type D! Je crois que j'y viens naturellement, sans trop me poser de questions, n'y voyez aucune idéologie. D'ailleurs je ne suis pas du tout certain d'avoir raison. Parfois je trouve mon travail assez ringard, surtout quand je suis fatigué...

KLI : Quels sont les rapports que vous entretenez avec l'Ecole de Bruxelles et les classiques que sont HERGE, JACOBS, MARTIN, De MOOR, VANDERSTEEN...?
O.S. : J'adore le HERGE des débuts quand il était instinctif. Je suis venu assez tard à JACOBS dont les histoires m'ennuyaient quand j'étais enfant mais je reconnais aujourd'hui son génie! MARTIN me sidère par l'ampleur de son travail et en même temps j'ai l'impression qu'il avait besoin de légitimer son art par une grande véracité historique. Ca permet de se rendre compte du regard péjoratif que l'on portait sur la bande-dessinée à cette époque. VANDERSTEEN est fascinant, finalement très exotique. De MOOR est celui dont je me sens le plus éloigné.

KLI : Quelle a été votre position par rapport à l'émergence d'une nouvelle ligne claire dans les années 70-80 avec des auteurs comme SWARTE, FLOC'H, CHALAND, CLERC, Ted BENOIT, TORRES...? Si j'en crois votre biographie, vous présentez, à l'age de 18 ans, vos dessins aux responsables de la revue Métal Hurlant, qui vous encouragent vivement. Pourriez vous nous faire part de cette anecdote ?
O.S. : La nouvelle ligne claire, je l'ai prise de plein fouet comme une nouvelle vague. Elle bouclait la boucle. Les distances prises avec les vieux maîtres n'ont servi à rien ! C'est revenu comme un boomerang, la dérision, la causticité en plus. J'avais l'impression de faire corps avec cette tendance mais d'en être un des derniers rejetons. Concernant Métal, j'y suis allé un mercredi la peur au ventre. Un copain m'attendait en bas dans un café. C'est DIONNET et Ted BENOIT qui recevaient ce jour-là les dessinateurs. Chacun voyait un dessinateur pour aller plus vite. Ted BENOIT m'a reçu, a appelé DIONNET et lui a dit que ça lui rappelait ses débuts. DIONNET m'a encouragé a refaire six fois la même histoire de six pages et m'a montré une magnifique planche d'ARNO en me disant qu'il avait mon âge . J'attendais une publication et pas des encouragements, mon orgueil en a pris un coup!

KLI : Votre trait est très influencé par celui d'Yves Chaland qui semble être votre principale référence ? L'avez vous rencontré ? Vous a t-il conseillé ? Comment vous définiriez vous par rapport à lui ? Continuateur ? Disciple ?
O.S. : Je ne l'ai jamais rencontré, à part une dédicace dans la foule à Angoulème et une apparition dans un coktail pour les 20 ans d'Astrapi. C'était bizarre, à cette époque, je le révérais, il était le nouvel HERGE, plus fort que GIRAUD et FRANQUIN et si drôle! Il était exemplaire pour moi, faisait tout mieux! Aujourd'hui je le respecte tout autant mais c'est vrai qu'il m'a manqué de le rencontrer.

KLI : Vous n'êtes pas, à mes yeux, suffisamment reconnu comme auteur de bande dessinée. N'avez vous pas le sentiment qu'en France, un dessinateur pour les jeunes se coupe d'une certaine forme de reconnaissance par le monde de la bande dessinée ?
O.S. : Vous n'avez pas tort, je n'en avais absolument pas conscience en débutant. Je me suis longtemps dit que si, moi, je lisais encore des PEYO, les lecteurs adultes pouvaient bien lire des inspecteur Bayard. C'était faux. C'est un trop gros effort, ça leur parrait puéril. Comment leur en vouloir?

KLI : A l'exception de quelques planches publiées dans PLG, vous n'avez jamais proposé de travail destiné à un public plus adulte que celui de l'Inspecteur Bayard. Pourquoi ? Vous avez pourtant cotoyé, à PLG, pas mal d'auteurs aujourd'hui reconnus pour leur approche adulte du media bande dessinée (Dupuy, Berberian, Trondheim...). Est-ce que vous auriez des projets en ce sens ?
O.S. : J'ai des projets plus adultes en effet mais il s'agit d'auto-fiction peu auto, très fiction. Il en est passé un peu dans PLG avant que le fanzine ne change de formule mais en fait je ne me bats pas pour que ça voie le jour. Je le fais plus pour comprendre, pour me détendre par rapport à "l'écrit ", à la narration. Je préfèrerais inventer des histoires tout public et issues de mon imagination pour la plus grande part.

KLI : Dans un récent entretien particulièrement intéressant pour Bodoï, STANISLAS, l'un des co-fondateurs de l'Association tenait les propos suivants : "Ma tendance au classicisme a vite été écrasée par le courant intello-grunge devenu la marque de fabrique de l'Association. La prédominance de ce courant s'explique : son dessin-écriture très jeté permettait de réaliser des albums très rapidement et donnait à des gens qui ne savaient pas dessiner la possibilité de raconter leur vie sans autre souci que celui de la narration. Personnellement, je tendais vers un dessin plus laborieux, soigné, avec des personnages dotés de vraies mains et des décors nécessitant de la documentation. Je regrette souvent que ce style intello-grunge ait si bien marché. Car j'ai été sans le vouloir co-fondateur d'une maison d'édition dont le style a tué la bande dessinée classique." Comment réagissez vous à ces propos ? Est-ce que vous les partagez ? Quel regard portez vous sur ce qu'on qualifie de nouvelle bande dessinée (SFAR, TRONDHEIM, BLAIN...) ? Est-ce que ce type d'approche vous tente ? Est-ce que la bande dessinée ligne claire a encore un avenir ? Est-ce qu'elle n'est pas trop perçue comme élitiste, du siècle passé, un peu déphasée par rapport à notre époque ? Est-ce que vous avez des remarques en ce sens à rapporter de vos jeunes lecteurs par rapport à votre dessin ?
O.S. : J'aime beaucoup le travail de Stanislas BARTHELEMY, mais je ne vois pas quelle antinomie il y a entre son dessin et celui des autres auteurs à l'Association. Ils avaient des styles si différents dès le début. Je ne trouve pas que la bande dessinée classique soit morte et encore moins par le truchement de l'Association ! Le nombre de BD qui deviennent d'ors et déjà des classiques venant de cette pépinière est hallucinant. Et en BD comme ailleurs, il y a des modes, des courants... Le classique est indémodable! Concernant la réaction de mes jeunes lecteurs, je vous fais grâce du "Oh! mais c'est Tintin !". Les enfants ont une grande palette de goût graphique. Ils peuvent adorer Titeuf et les mangas et aimer aussi l'Inspecteur Bayard mais aussi Petit vampire ou Pipit Farlouse. Ils sont encore très ouverts, c'est une des consolations de l'auteur jeunesse.

KLI : Est-ce que vous seriez tenté par la reprise graphique de séries comme Blake et Mortimer ou Spirou comme le fait actuellement Frank le GALL ? Avez vous déjà été approché pour de telles reprises ?
O.S. : C'est évident que je ne refuserai pas de telles propositions si elles m'étaient faites. Ouais, j'adorerais mais peut-être qu'un jour ?...

KLI : Vous avez publié des illustrations dans un récent numéro de Spirou (n°3595 du 7 mars 2007). Est-ce l'amorce d'une collaboration durable avec les éditions Dupuis ? Avez vous des projets de bandes dessinées à venir avec cette honorable maison ?
O.S. : Ces illustrations, je les ai faites pour un directeur artistique qui me fait bosser depuis une demi-douzaine d'années pour un magazine anglais, "Fortean Times". Il a créé une rubrique dans Spirou, la gazette de l'étrange. Il est fidèle, moi aussi...

KLI : Quels sont vos rapports avec le dessin publicitaire ? Les dessinateurs ligne claire sont souvent sollicités pour ce type de travaux graphiques. Est-ce que c'est votre cas ?
O.S. : Je ne fais plus de publicité depuis un moment, d'ailleurs j'y rechigne un peu.

KLI : D'un point de vue purement technique, quelle est votre méthode pour arriver au final à un dessin ligne claire ? Est-ce que vous partez de croquis et d'esquisses très chargés pour choisir le trait le plus adapté ?
O.S. : C'est variable, la qualité du dessin ne dépend pas du nombre de traits d'ébauche qu'on a exécuté. Parfois un dessin vient tout seul, sans remords et d'autres nécessitent des heures de lutte ! L'avantage de la ligne claire c'est qu'elle permet de cacher le travail, qu'il soit aisé ou difficile.

KLI : Comme lecteur de bande dessinée, quel est votre dernier coup de coeur ligne claire ?
O.S. : Je n'avais pas lu Le sire de montrésor, un Johan et Pirlouit, quelle merveille ! En ligne claire adulte, le Jimmy Corrigan de Chris WARE. Mais je trouve "ligne claire" certains auteurs comme MORRIS jeune, KIRBY encré par Chic STONE et l'UDERZO d'Oumpahpah et bien d'autres !

KLI : Quelles sont vos bandes dessinées ligne claire préférées ? Si vous ne deviez garder qu'un seul ouvrage ligne claire (à part les votres bien évidemment), quel serait-il et pourquoi ?
O.S. : La comète de Carthage de CHALAND et Le PENNETIER est un exemple de tradition dans le trait, de modernité dans la narration et un sublime hommage à Salammbô.

KLI : Quels sont vos projets immédiats ?
O.S. : Je dessine la couverture du 16ème volume de l'Inspecteur Bayard et j'ai déjà terminé l'ensemble des pages constituant le tome 17.

klarelijninternational est le site de référence des amoureux de la ligne claire vivante
Illustrations copyright Olivier SCHWARTZ et Bayard Presse

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