samedi 13 juin 2009

Le retour de Sfar

Dans le petit monde de Joann Sfar

Je suis bien maladroit, puisque mon précédent billet avait pour objet de faire lire l'album de Yann et Schwartz, ainsi que d'inviter à relire celui de Bravo. Une fois pour toutes, on aura compris que j'adore le livre d'Emile. On aura vu, également, que le livre de Yann et Schwartz me fascine, mais qu'une image n'est pas passé, celle d'une jeune juive transformé en bonhomme d'imagerie légère.
Les critiques que j'ai formulées pourraient se résumer en quelques lignes, et elles n'ont rien à voir avec mon opinion littéraire ou mon statut d'auteur:
Je tentais de poser la question des nazis de pacotille. J'essayais de dire que tant qu'on représente des nazis de pacotille, ça n'est pas très grave. je considère que la farce cesse d'être drôle quant on se retrouve à représenter des déportés de pacotille.
Toute la saveur d'un album comme celui de Yann consiste à mélanger les clichés inoffensifs des illustrés pour enfants et la réalité du deuxième conflit mondial. On voit bien qu'en réduisant les nazis à des méchants stéréotypés et soumis aux codes franco-belges de bande dessinée, il les ridiculise. Et tant mieux.
Mais quand ces mêmes codes servent à représenter les victimes de la barbarie, je trouve ça inacceptable. Ainsi, représenter une jeune femme recluse qui même cachée dans sa mansarde arborerait son étoile jaune, ça me semble préoccupant, parce que ça la transforme en un symbole édulcoré. De même, inclure cette figure dans une bluette, en faire un élément "charmant" au sein d'un récit léger, ça ne me va pas. J'ai avancé que les auteurs n'avaient même pas conscience de l'énormité de cette image. Que ça soit fait exprès ou par bêtise, selon moi, ça ne change rien, l'image reste, et elle me semble insupportable.
Je trouve que parfois le huitième degré a bon dos. J'aimerais au moins pouvoir me dire que Yann va quelque part. il me semble que non. Il me semble qu'il accumule gratuitement des clichés. J'y vois, que ça soit conscient ou non, des instruments de banalisation.
Je veux bien que les nazis deviennent des petits bonshommes rigolos, simplistes et que Yann ridiculise. Les déportés non. Selon ma grille de lecture, et une fois encore ça n'engage que moi, la petite fille portant étoile dans sa mansarde (comme si même seule elle ne pouvait l'enlever), cette petite qui espère un baiser du jeune héros belge et dont on a pris soin de dessiner la poitrine naissante sous son étoile, je trouve qu'elle constitue une insulte au souvenir des victimes juives de la guerre. Je trouve que j'aimais mieux les dessins de Vuillemin dans Hitler=SS. Au moins, Vuillemin c'était provo et débile et agressif et c'était une vraie transgression. Dans le Spirou de Yann, c'est différent, c'est une édulcoration, c'est la pacotille.
Ca ne m'a pas choqué. Ca m'a juste semblé révélateur de l'extrème documentation et de l'abominable légèreté de l'auteur. je trouve qu'à ce titre, Yann est très représentatif de notre temps. Et ça n'enlève rien aux qualités de son livre.
Mais j'aimerais qu'on ne m'interdise pas de donner mon avis sur un livre sous prétexte que je suis auteur. Et j'aimerais qu'on m'autorise à avoir mon opinion sur la représentation des juifs en bandes dessinées, même si je suis juif moi-même. On dirait, si j'en crois les commentaires lus ici et là, que ma judéïté rend de facto suspecte toute prise de position sur ce sujet. Je serais chatouilleux et suspicieux et je chercherais de l'antisémitisme partout. Non. Tout ça m'emmerde profondément. je n'ai pas une passion pour les procès en sorcellerie. Mais globalement je crois avoir les yeux assez ouverts pour remarquer une image abominable. Je me méfie de toute image qui ferait obstacle au souvenir de vrais drames. l'humour, le rire et la transgression devraient selon moi servir à rouvrir des plaies, à rendre vivace la conscience du lecteur, à appeler un éveil de chaque instant. il me semble que l'image que j'ai critiquée met un voile de guimauve sur une réalité atroce.
Si les lecteurs du Groom Vert de Gris s'intéressent à cette époque charmante, je leur recommande de visionner le documentaire "einsatzgruppen, commandos de la mort", édité par France 2 vidéo. On peut aussi lire "Les Disparus" de Mendelsohn. Mon chef opérateur, Guillaume Schiffman, m'a également offert un film sur le camp de Belzec. Rien dans ces documents ne me donne envie de transformer la déportation en un caméo pour illustré nostalgique.
J'aime la provocation, la transgression, j'aime aussi qu'on brise les tabous. le Groom Vert de Gris fait un effet bien différent, il révèle des choses, non sur l'Allemagne nazie, mais sur l'Europe d'aujourd'hui qui retourne au conformisme et à l'endormissement en passant par la case du divertissement.
Je sais que ni le cinéma ni la télévision ni le roman n'auraient accueilli sans sourciller une représentation aussi désinvolte de la déportation. Je m'interroge sur les raisons pour lesquelles mon medium de prédilection, la bande dessinée, admet sans broncher qu'on aille aussi loin dans la candeur imbécile.
Une fois encore, c'est juste mon opinion. Je ne demande pas qu'on fasse du mal à Yann ou à son livre, je suggère juste aux gens de l'acheter, et de le lire sérieusement. Une fois encore, j'apprécie depuis toujours les livres de Yann, et depuis toujours je regarde avec des sentiments mitigés la façon dont il soigne son obsession de la représentation des juifs. Parfois, comme dans les Innommables, il m'amuse beaucoup, parfois, comme dans la patrouille des libellules, il me glace les sangs, mais c'est drôle. Parfois, comme dans son Spirou, j'ai le sentiment qu'il ne sait pas où il va, et qu'à trop mélanger des choses graves et des images enfantines, on finit par révéler les tréfonds de son imaginaire...et parfois le vide n'est pas une excuse.

Joann

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