samedi 20 octobre 2018

Atom dans l'Express

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"Un détective privé ne doit jamais être armé!"
Par Jérôme Dupuis
publié sur l'express le 20/10/2018 à 07:00

Les "privés" dans la vraie vie ressemblent-ils à leurs alter ego en bande dessinée ? L'Express a ouvert l'enquête...

Profitant de la sortie d'Atom Agency, du tandem Yann-Schwarz, L'Express a réuni le scénariste de cet album de bande dessinée à l'ambiance fifties et le patron de la célèbre agence de détectives Duluc. L'occasion de voir ce qui a changé dans les méthodes des "privés" depuis les années cinquante.
Quel Parisien n'a pas rêvé un jour devant l'intriguant néon vert de l'agence Duluc Détective, à l'angle de la rue du Louvre et de la rue de Rivoli ? C'est Jean-Claude Baret, 45 ans de filatures au compteur, qui la dirige aujourd'hui avec son épouse Martine. Son travail ressemble-t-il vraiment à l"image d'Epinal du privé ? Pour le savoir, nous l'avons confronté au scénariste de bande dessinée Yann Le Pennetier (Spirou, Thorgal...), qui vient de publier, avec le très élégant Schwartz au dessin, Atom Agency, un savoureux album mettant en scène un détective privé des années 50 qui enquête sur le vol des bijoux de la Begum. Rencontre dans le bureau éclairé par le fameux néon vert.

L'Express : Yann Le Pennetier, pourquoi avoir choisi un détective privé pour héros ?
Yann Le Pennetier : Avec Schwartz, nous avions un rêve : reprendre la mythique série Gil Jourdan de Tillieux, publiée par Spirou dans les années 50. Hélas, ses héritiers n'ont pas voulu. Alors, nous avons inventé notre propre détective et imaginé ce qu'aurait fait Tillieux sans la censure bien-pensante de l'après-guerre. Il faut savoir que le rédacteur en chef de Spirou de l'époque, Yvan Delporte, rabotait littéralement à la gouache les seins du personnage féminin de Tillieux, Queue-de-Cerise ! Nous avons voulu lui rendre hommage, mais en introduisant de la violence et la sensualité.
Jean-Claude Baret : J'ai commencé mon travail de détective un peu plus tard, mais j'ai retrouvé dans votre album certains éléments de décor ou certaines voitures de mes enquêtes. A l'époque, une grosse partie de notre travail consistait à faire des constats d'adultère. On nous surnommait la "brigade des cocus". C'était toute une aventure, il fallait convoquer un huissier, le commissaire de police du coin, et surtout ne pas se rater : si vous entriez dans l'appartement au mauvais moment, tout était fichu ! Depuis la loi de 1974 sur les divorces, tout ça n'existe plus. En même temps, faire parler les gens était plus simple à l'époque : les voisins connaissaient tout de la vie de leur immeuble, les ragots, etc, alors que maintenant ils se contentent de se saluer vaguement dans les escaliers...

Dans Atom Agency, le détective privé, d'origine arménienne, n'hésite pas à donner des "bourre-pifs"...
Yann Le Pennetier : Oui, il porte un nom arménien, Atom Vercorian, et Schwartz s'est d'ailleurs inspiré du côté sec d'Aznavour jeune pour imaginer ses traits. Dans les romans des années 50, la violence est très présente. À l'époque, le milieu n'était pas tendre et avait aussi son parler particulier. Plus jeune, je suis quasiment passé d'un seul coup de Oui-Oui à San Antonio. J'ai essayé de restituer cet argot des truands dans l'album.
Jean-Claude Baret : Contrairement à l'image véhiculée par les films noirs, le métier de détective privé ne consiste pas du tout à aller à l'affrontement. Au contraire, c'est un métier d'évitement. Il faut toujours être sur ses gardes et décrocher d'une filature à la moindre alerte. J'aime beaucoup la manière dont Truffaut a mis en scène Antoine Doisnel en détective dans Baisers Volés. Je n'ai que très rarement été confronté à de la violence physique. Ah si, une fois, en Bretagne, un groupe m'a attendu devant mon hôtel, pour, disons, me dissuader d'enquêter...

Mais avez-vous connu des poursuites en voiture et des échanges de coups de feu comme dans l'album ?
Jean-Claude Baret : Je n'ai pas d'autorisation de port d'arme, ni de détention d'arme. Si vous partez armé sur une enquête, c'est le début de gros ennuis ! Quant aux poursuites en voiture, aujourd'hui, à Paris, avec la circulation, les bouchons, les Velib, les Uber, etc, c'est un véritable cauchemar !
Yann Le Pennetier : C'est aussi pour ça que nous avons situé notre aventure dans les années 50. L'affaire du vol des bijoux de la Begum, l'épouse de l'Aga Khan, est un peu oubliée aujourd'hui. Mais elle a eu un retentissement considérable, en 1949...
Jean-Claude Baret : Oui, elle avait une classe folle, cette Begum ! Elle s'appelait Yvette Labrousse et avait été miss France...
Yann Le Pennetier : Pour les "bandits", nous nous sommes évidemment beaucoup inspiré de Paul Leca, l'auteur de ce braquage rocambolesque. Et puis, on est encore proche de la guerre, ce qui permet de faire des flash-backs du côté de la Résistance et de mettre en scène une mystérieuse femme, la "panthère rouge", traquée à la Libération.

Aujourd'hui, avec les caméras de surveillance partout et, surtout, internet, le métier de détective privé a complètement changé, non ?
Jean-Claude Baret : Oui et non. Les gens pensent qu'ils peuvent tout trouver sur internet ou dans le téléphone de leur conjoint, mais ce n'est pas vrai. En fait, nous proposons de résoudre les cas qu'internet est incapable de démêler. De plus en plus, nous sommes sollicités pour retrouver des personnes disparues, soit parce que leur famille les recherchent, soit parce qu'elles doivent de l'argent à quelqu'un, etc. Les bonnes vieilles méthodes servent encore. Il y a quelques temps, nous étions à la recherche d'un tableau. Nous pensions qu'il était dans un appartement du VIIème arrondissement. Nous sommes allés dans l'immeuble d'en face et, miracle, par la fenêtre, nous avons vu le tableau au mur et avons pu le photographier ! Nous ne disposons pas des moyens de la police, qui peut faire des écoutes téléphoniques, etc.
Yann Le Pennetier : Dans Atom Agency, le père de notre héros est commissaire de police. Cela nous permet de montrer les relations qui ont pu parfois exister entre détectives privés et enquêteurs officiels.
Jean-Claude Baret : Oui, d'ailleurs, Christian, le fils du célèbre policier Roger Borniche, avait une agence de détectives privés...
Yann Le Pennetier : Je me suis beaucoup inspiré de la réalité pour le scénario, même s'il y a 50% de choses totalement inventées. Je me suis par exemple plongé dans les livres sur le catch, qui était un spectacle très important dans ces années-là. Cela à permis à Schwartz de réaliser de très belles scènes sur le ring. Je me suis aussi pas mal documenté sur le milieu marseillais de l'après-guerre. Mine de rien, pour écrire un scénario, il faut aussi pas mal enquêter !

1 commentaire:

  1. Un article sur le même angle dans le Figaro :

    La BD Atom Agency nous fait pénétrer dans l'antre de l'agence parisienne Duluc Détective

    par Aurélia Vertaldi, Publié le 21/10/2018 à 06:00

    http://www.lefigaro.fr/bd/2018/10/21/03014-20181021ARTFIG00005-la-bd-atom-agency-nous-fait-penetrer-dans-l-antre-de-l-agence-parisienne-duluc-detective.php

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